La grotte de Bacho Kiro fournit des informations clés sur l'évolution technologique et comportementale des premiers Homo sapiens en Europe

Les récentes fouilles menées dans la grotte de Bacho Kiro, au nord de la Bulgarie, entre 2015 et 2021, apportent un nouveau regard sur les changements technologiques et comportementaux des Homo sapiens au cours de la période du Paléolithique supérieur initial (IUP pour Initial Upper Palaeolithic). Les assemblages lithiques du site, datés entre 45 040 et 43 280 ans avant le présent (cal BP), comprennent plus de deux mille artefacts attribués aux premiers Homo sapiens.

Les objets en pierre, provenant de la couche I, ont été retrouvés aux côtés de différents vestiges de faune, dont certains (notamment des dents) ont été transformés en pendentifs, mais également de fossiles humains. La présente étude se focalise sur les outils lithiques, en tenant compte de leur origine, des techniques de production, des activités de taille sur le site et de la durée de vie des outils. Cette approche intégrée livre des résultats qui enrichissent considérablement notre compréhension des innovations concomitantes de l'adaptation des premiers Homo sapiens en Europe.

Principales découvertes :

L'analyse de l’origine des matières premières a révélé que les premiers Homo sapiens s'approvisionnaient directement en silex du Crétacé inférieur de la région de Ludogorie, au nord-est de la Bulgarie, et en silex du Crétacé supérieur des environs de Nikopol, situé sur le bank sud du Danube.

Ce constat induit une grande mobilité des individus qui transportent des produits finis (des lames) au sein de réseaux logistiques qui s'étendent sur de plus d’une centaines de kilomètres.

L'analyse techno-économique et typologique des assemblages lithiques démontre la mise en place de technologies lamellaires suivant des modalités unidirectionnelles et bidirectionnelles non levalloisiennes, en employant un concept volumétrique qui tranche d’avec les périodes précédentes. Les procédés de tailles, systématiquement bipolaires, et la segmentation des outils reflètent une gestion complexe des outils et une économie lithique multifacette, probablement due à l'éloignement des sources de silex de bonne qualité.

La stricte gestion des outils sur place est associée à une augmentation des activités de boucherie et à la fabrication d'outils en os, d'ornements personnels et de pendentifs. Ces découvertes témoignent de pratiques culturelles avancées et d'une réponse adaptative aux défis environnementaux, soulignant la plasticité comportementale des premiers Homo sapiens au début du Paléolithique supérieur.

La grotte de Bacho Kiro se présente comme un jalon essentiel pour comprendre l'évolution technologique et comportementale des premiers Homo sapiens en Eurasie occidentale. En effet, l’importance et la précision des datations ainsi que la diversité des assemblages archéologiques contenus sur le site y offrent une vision à haute résolution des premiers temps du Paléolithique supérieur, mettant en lumière une grande variabilité comportementale et une adaptation significative. Les recherches futures visent à explorer davantage ces dynamiques à travers une analyse spatiale détaillée et la poursuite de l’étude de l'économie des matières premières.

« La grotte de Bacho Kiro offre une opportunité exceptionnelle de comprendre la technologie et l'organisation des moyens de subsistance des Homo sapiens du début du Paléolithique supérieur », déclare Tsenka Tsanova, la coordinatrice du projet de recherche. « Nos découvertes mettent en évidence la complexité et l'adaptabilité de ces anciens Homo sapiens qui se sont installés entre le Danube et les montagnes des Balkans (Stara Planina). »

« En rupture nette avec les comportements néandertaliens précédents, l'analyse de l’origine des matières premières à la grotte de Bacho Kiro révèle comment les premiers Homo sapiens européens planifiaient leurs besoins matériels bien avant leur arrivée sur le site », rapporte Vincent Delvigne, le spécialiste en pétro-archéologie responsable de l'étude de la collection lithique de la grotte de Bacho Kiro. « Cette observation annonce les mouvements des Hommes modernes au cours des 30 millénaires suivants, alors que les groupes développent des systèmes de mobilité entre des camps parfois situés à des centaines de kilomètres les uns des autres. »

"Les innovations, adaptations et changements comportementaux observés dans la grotte de Bacho Kiro chez les premiers Homo sapiens en Europe n'étaient ni isolés, ni temporaires, ni aléatoires. Par exemple, leur approvisionnement systématique en silex et en lames de silex de haute qualité provenant de sources lointaines est un précurseur d'un esprit entrepreneurial et d'une mobilité encore plus grande dans le développement ultérieur de cette population: se déplaçant volontiers loin vers l'est, avec des établisse ments brefs (et probablement rarement à long terme) à travers l'Asie centrale, orientale et nord-orien tale, culminant dans leur rôle significatif dans la colonisation du Nouveau Monde," conclut le Directeur des fouilles précédentes Nikolay Sirakov.

Pour plus d’information et des images à haute résolution, merci de contacter tsenka.tsanova@unibo.it

Images à haute résolution disponible à la demande:

Image 1. Photo de l'équipe de fouilles, coopération bulgaro-allemande en 2021, devant l'entrée de la grotte de Bacho Kiro. Rangée arrière, de gauche à droite : B. Milusheva, L. Vitanov, S. Simeonov, Sh. McPherron, N. Sirakov, I. Stanev (ⴕ), Au premier plan de gauche à droite: V. Ivanova, Y. Dimitrova, E. Nacheva, T. Tsanova, J.-J. Hublin, E. Anastasova. Photo V. Simeonov.

Image 2. Les fouilles de la saison 2021 à la grotte de Bacho Kiro révèlent de nouveaux artefacts provenant des occupations néandertaliennes du Paléolithique moyen. La couche I du Paléolithique supérieur initial est visible sous forme de bandes sombres dans le profil sédimentaire. Les fouilleurs portent des masques et des gants pour minimiser la contamination des échantillons, qui sont régulièrement prélevés pour des analyses moléculaires. Photo © MPI-EVA/ Tsenka Tsanova.

Image 3. Sélection d’objets signifiants en pierre et en os provenant des couches du Paléolithique supérieur initial (couches I et J). Grotte de Bacho Kiro. 1-5 lame appointée, 6-7 Perle en pierre (psammite), 8 perles en ivoire, 9 polissoir en os, 10 Pendentif- dent en os perforée, 11 H. molaire de H. Sapiens, Dessins : I. Krumov; Photo: T. Tsanova (1, 2, 3, 4, 6), N. Martisius (7, 8, 10), Sh. McPherron (11).

Image 4. Analyse de trois aspects des collections de pierres provenant de la grotte de Bacho Kiro au Musée national d'histoire de Sofia en 2022 : à droite, J. Marriros étudie les signes d'usure ; au centre, V. Delvigne identifie les matières premières ; et à gauche, T. Tsanova saisit les données sur la technologie. Photo par E. Endarova

Image 5. Une partie de l'équipe de recherche du projet bulgaro-allemand et d'autres participants devant le monument de Bacho Kiro à la maison d'hôtes Platex, à Dryanovo, en octobre 2019. De gauche à droite, rangée arrière : N. Martisius, M. Haidinjak, I. Krumov, S. Sirakova, D. Filcheva and V. Fish, E. Anastasova (au-dessus), E. Endarova; Au premier plan de gauche à droite: V. Lafchiyski (hôte), N. Sirakov, N. Zahariev, R. Spasov, T. Tsanova, P. Horta and S. Pääbo. Photo P. Petrunov.